Comme un
article de Bloomberg sur l'offre de fonds en Grande-Bretagne le déplorait *, les frais
associés aux produits financiers sont très élevés en Europe en comparaison avec les
Etats-Unis. Bloomberg en veut pour preuve une étude ( Mutual Fund Fees Around the World dans Review of Financial Studies ,
2009) montrant que les frais
globaux annuels des fonds actions (y compris frais d'entrée/sortie) en Grande-
Bretagne s'établissent en moyenne à
2,28%, 1,88% en France, 1,76% en Belgique, et 2,03% en Suisse. Aux Etats-Unis
la moyenne est de 1,53%, la moyenne pour l'ensemble des pays étudiés est 1,8%.
Mais les frais sont encore plus élevés lorsque l'on considère non pas le
domicile du fonds mais l'ensemble des fonds offerts à la vente dans chaque
pays, ils dépassent alors allègrement les 2% partout en Europe (2,40% en
Suisse) !
Citation
de l'article :
" The
difference in fees means $10,000 invested in a U.S. fund growing at 5 percent a
year would return $14,745 after 10 years, 12 percent more than the $13,167
returned by a U.K. fund growing at the same rate. The difference grows to 25
percent after 20 years and 40 percent after 30 years."
Les
épargnants européens paient beaucoup de frais cachés ce qui complique aussi énormément
leur choix . Les frais beaucoup moins transparents font qu 'il n'existe aucune
incitation chez les gestionnaires à les baisser. En Suisse, les choses ne sont
pas différentes en matière de transparence, en fait elles sont pires , en
particulier dans le domaine des produits d 'assurance-vie. Au contraire des
produits vie vendus en France ou en Belgique,
les frais d'acquisition des assurances-vie vendues en Suisse sont cachés, et ils sont
très élevés, alors qu'en France les frais d'entrée (leur équivalent, soit les frais récurrents payés à chaque versement de prime), lorsqu'ils existent,
dépassent rarement 5%. Dans la banque,
les frais pour le conseil ont été aussi historiquement plus élevés du fait que
la clientèle offshore n'y prêtait que peu d'attention, le secret bancaire étant
pour ces clients l’attrait principal de la place suisse. Tous produits confondus, il est fréquent que
les notices d'information sur les frais soient rendues difficiles d'accès, qu'on
les cherche sur les sites web des institutions financières ou qu'on se rende
dans une succursale. L’exemple qui me
vient à l'esprit est celui d’un produit d’épargne, offert par un assureur, que
j’ai récemment examiné. Si l'on veut consulter l'information sur les frais,
seuls les frais "administratifs" modiques et les frais d'entrée sont
mentionnés sur la fiche produit. La fiche renvoie le client à la société de
gestion de fonds pour plus d'information sur les frais de gestion du fonds (le
plus important), le gestionnaire de fonds, lui, renvoie à un site tiers
(fundinfo.com) pour le KIID (Key Investor Information Document), où la fiche en
question est introuvable ! Même constat chez une grande banque suisse pour ses
fonds d'allocation, les documents sont restés introuvables sur le site de la banque.
Un particulier en général ne cherche pas (pas longtemps) ce genre
d'information. Après quelques minutes de recherches vaines, il décidera sans
doute de s'en remettre à son conseiller. Conseiller qui peut-être chez cette
grande banque prétendra, comme l'exemple vécu raconté dans "Comprendre la
finance et vos placements : Tout ce qu'on vous cache sur votre
épargne" qu' il n'y a pas de frais
! Enfin "pas de frais qui vous seront facturés directement
…" . Peut-être vous faudra-il même
expliquer au dit conseiller qu'il n' existe pas de placements sans frais (Dans
l'exemple que je donnais, les frais pour cette formule de fonds d'allocation
dépassaient 3%).
Les auteurs
de l'étude Mutual Fund Fees Around the World tentent de trouver par
l'analyse des statistiques et de différentes variables, des facteurs expliquant
les coûts élevés mais ne trouvent pas de relations convaincantes en dehors du
fait que les pays dont la réglementation est plus développée comme les USA
offrent des fonds aux frais moins élevés (pourtant les frais restent élevés
aussi en GB où la législation est très avancée). En Europe, l'enregistrement
d'un fonds dans plusieurs pays mène aussi, passé un seuil de 3 pays, à des
frais plus élevés, concluent-ils .
Si l'on me
demandait d'avancer une explication, je dirais qu'il y a plusieurs raisons pour
expliquer l'existence - et la persistance- de coûts élevés en Europe en général
mais, principalement aujourd'hui, le peu de sophistication de l'épargnant moyen
en Europe, conséquence du manque d'information (objective) sur le sujet, qui
favorise l'immobilisme du secteur financier. Ce dernier peut donc continuer de
générer des marges très confortables sur les produits. Mais plus
fondamentalement, en ce qui concerne les produits boursiers, les raisons
historiques du niveau de frais élevé sont pour partie attribuables aux coûts de
transactions plus élevés et à des marchés fragmentés, facteurs toujours
d'actualité malgré l'intégration des bourses européennes et le développement
d'un marché européen pour les produits financiers .
Une autre
raison est sans doute liée aux caractéristiques du marché. Le marché américain
beaucoup plus important, la culture de l'argent sous-produit de la poursuite de
l"American Dream" ont favorisé le développement d'un marché de masse
et d'une forte concurrence et donc d'innovations amenant à une baisse des
coûts. L' Europe se distingue aussi des USA par un système de protection
sociale de la naissance à la mort, avec des systèmes de pension longtemps
supposés assurer les besoins financiers futurs des retraités. En théorie ceci
amène à un effet de substitution par lequel l'épargne personnelle diminue, de
fait on se sent mieux protégé par le "filet social" et en général
moins concerné par une diminution du revenu à la retraite. Par contraste, aux
USA, le système de pension, la Social Security (créée par Franklin D. Roosevelt
en réponse à la paupérisation des seniors durant la Grande Dépression), a, dans
l'esprit des retraités, cessé depuis longtemps d'assurer un revenu confortable.
Les frais élevés sont aussi le reflet d’un marché où le client, moins concerné
par la nécessité d’épargner, doit être démarché par une force de vente qu’il
faut rémunérer généreusement chaque fois qu’un prospect parmi 100 autres
souscrit un
produit. Enfin, on peut raisonnablement penser que l'importance, aux
Etats-Unis, des fonds de pension a aussi contribué à développer le marché des
produits financiers et la concurrence.
Des solutions
Quelles que
soient les raisons historiques des coûts élevés en Europe, le fait est
qu'aujourd'hui, il existe des produits efficients en termes de coûts, offerts
aux épargnants en Europe.
J'en parle en long et en large dans Comprendre la finance et vos placements : Tout ce qu'on vous cache sur votre épargne. Ce sont ces produits développés aux Etats-Unis et désormais offerts même par
des institutions européennes, ce sont, en France, les contrats d'assurance-vie
sans frais d'entrée (contrats internet), lorsqu'ils offrent aussi des supports
aux coûts raisonnables. Lorsqu'il s'agit de choisir des produits d'épargne, il
ne faut jamais oublier que l'importance des frais est capitale . Ainsi en ce qui
concerne les fonds de placement, le TER donne une meilleure indication de la
performance future que d'autres mesures comme la performance passée. Selon
Morningstar , dans toutes les classes d'actifs, sur toutes les périodes, les
20% des fonds les moins chers ont produit des returns plus élevés que les 20%
des fonds les plus chers. Gardez ces
quelques chiffres en tête : un surcroît de frais de 1% diminue la valeur
du compte de 18% après 20 ans, un surcroît de frais de 1,50% diminue la valeur
du compte de 1/4 après 20 ans, de 1/3 après 30 ans.
La solution adoptée par de plus en plus
d'investisseurs intelligents est d'opter pour les fonds indiciels et les ETF,
au moins pour le cœur de son portefeuille. Ces produits relativement nouveaux
en Europe sont une vraie révolution dans la gestion de fortune. Même les
gérants de fortune l'ont compris. Attention, certains emploient les ETF et y ajoutent des frais élevés. Un cas qui a
récemment attiré mon attention c’est
celui d’une gamme de fonds gérés par IAM, un gestionnaire genevois qui officie
surtout pour des caisses de pension. IAM facture 1,5 à 2% de frais de gestion
pour un fonds … d'ETF ! Des frais
difficilement justifiables à mon sens. Décidément il y a encore du chemin à
parcourir en Suisse en matière de réduction
des coûts !
*http://www.bloomberg.com/news/2012-03-23/hidden-fund-fees-mean-u-k-investors-pay-double-us-rates.html
*http://www.bloomberg.com/news/2012-03-23/hidden-fund-fees-mean-u-k-investors-pay-double-us-rates.html