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vendredi 11 octobre 2013

Les coûts des placements en Suisse : très élevés et malgré la réglementation souvent encore peu transparents dans les faits


Comme un article de Bloomberg sur l'offre de fonds en Grande-Bretagne le déplorait *, les frais associés aux produits financiers sont très élevés en Europe en comparaison avec les Etats-Unis. Bloomberg en veut pour preuve une étude  Mutual Fund Fees Around the World dans Review of Financial Studies , 2009)    montrant que les frais globaux annuels des fonds actions (y compris frais d'entrée/sortie) en Grande- Bretagne  s'établissent en moyenne à 2,28%, 1,88% en France, 1,76% en Belgique, et 2,03% en Suisse. Aux Etats-Unis la moyenne est de 1,53%, la moyenne pour l'ensemble des pays étudiés est 1,8%. Mais les frais sont encore plus élevés lorsque l'on considère non pas le domicile du fonds mais l'ensemble des fonds offerts à la vente dans chaque pays, ils dépassent alors allègrement les 2% partout en Europe (2,40% en Suisse)  !

Citation de l'article :
" The difference in fees means $10,000 invested in a U.S. fund growing at 5 percent a year would return $14,745 after 10 years, 12 percent more than the $13,167 returned by a U.K. fund growing at the same rate. The difference grows to 25 percent after 20 years and 40 percent after 30 years."

Les épargnants européens paient beaucoup de frais cachés ce qui complique aussi énormément leur choix . Les frais beaucoup moins transparents font qu 'il n'existe aucune incitation chez les gestionnaires à les baisser. En Suisse, les choses ne sont pas différentes en matière de transparence, en fait elles sont pires , en particulier dans le domaine des produits d 'assurance-vie. Au contraire des produits vie vendus en France ou en Belgique,  les frais d'acquisition des assurances-vie vendues en Suisse sont cachés, et ils sont très élevés, alors qu'en France les frais d'entrée (leur équivalent, soit les frais récurrents payés à chaque versement de prime), lorsqu'ils existent, dépassent rarement 5%.  Dans la banque, les frais pour le conseil ont été aussi historiquement plus élevés du fait que la clientèle offshore n'y prêtait que peu d'attention, le secret bancaire étant pour ces clients l’attrait principal de la place suisse.  Tous produits confondus, il est fréquent que les notices d'information sur les frais soient rendues difficiles d'accès, qu'on les cherche sur les sites web des institutions financières ou qu'on se rende dans une succursale.  L’exemple qui me vient à l'esprit est celui d’un produit d’épargne, offert par un assureur, que j’ai récemment examiné. Si l'on veut consulter l'information sur les frais, seuls les frais "administratifs" modiques et les frais d'entrée sont mentionnés sur la fiche produit. La fiche renvoie le client à la société de gestion de fonds pour plus d'information sur les frais de gestion du fonds (le plus important), le gestionnaire de fonds, lui, renvoie à un site tiers (fundinfo.com) pour le KIID (Key Investor Information Document), où la fiche en question est introuvable ! Même constat chez une grande banque suisse pour ses fonds d'allocation, les documents sont restés introuvables sur le site de la banque. Un particulier en général ne cherche pas (pas longtemps) ce genre d'information. Après quelques minutes de recherches vaines, il décidera sans doute de s'en remettre à son conseiller. Conseiller qui peut-être chez cette grande banque prétendra, comme l'exemple vécu raconté dans "Comprendre la finance et vos placements : Tout ce qu'on vous cache sur votre épargne"  qu' il n'y a pas de frais ! Enfin  "pas de frais qui vous seront facturés directement …"  . Peut-être vous faudra-il même expliquer au dit conseiller qu'il n' existe pas de placements sans frais (Dans l'exemple que je donnais, les frais pour cette formule de fonds d'allocation dépassaient 3%).
   

Les auteurs de l'étude Mutual Fund Fees Around the World tentent de trouver par l'analyse des statistiques et de différentes variables, des facteurs expliquant les coûts élevés mais ne trouvent pas de relations convaincantes en dehors du fait que les pays dont la réglementation est plus développée comme les USA offrent des fonds aux frais moins élevés (pourtant les frais restent élevés aussi en GB où la législation est très avancée). En Europe, l'enregistrement d'un fonds dans plusieurs pays mène aussi, passé un seuil de 3 pays, à des frais plus élevés, concluent-ils .   

Si l'on me demandait d'avancer une explication, je dirais qu'il y a plusieurs raisons pour expliquer l'existence - et la persistance- de coûts élevés en Europe en général mais, principalement aujourd'hui, le peu de sophistication de l'épargnant moyen en Europe, conséquence du manque d'information (objective) sur le sujet, qui favorise l'immobilisme du secteur financier. Ce dernier peut donc continuer de générer des marges très confortables sur les produits. Mais plus fondamentalement, en ce qui concerne les produits boursiers, les raisons historiques du niveau de frais élevé sont pour partie attribuables aux coûts de transactions plus élevés et à des marchés fragmentés, facteurs toujours d'actualité malgré l'intégration des bourses européennes et le développement d'un marché européen pour les produits financiers .

Une autre raison est sans doute liée aux caractéristiques du marché. Le marché américain beaucoup plus important, la culture de l'argent sous-produit de la poursuite de l"American Dream" ont favorisé le développement d'un marché de masse et d'une forte concurrence et donc d'innovations amenant à une baisse des coûts. L' Europe se distingue aussi des USA par un système de protection sociale de la naissance à la mort, avec des systèmes de pension longtemps supposés assurer les besoins financiers futurs des retraités. En théorie ceci amène à un effet de substitution par lequel l'épargne personnelle diminue, de fait on se sent mieux protégé par le "filet social" et en général moins concerné par une diminution du revenu à la retraite. Par contraste, aux USA, le système de pension, la Social Security (créée par Franklin D. Roosevelt en réponse à la paupérisation des seniors durant la Grande Dépression), a, dans l'esprit des retraités, cessé depuis longtemps d'assurer un revenu confortable. Les frais élevés sont aussi le reflet d’un marché où le client, moins concerné par la nécessité d’épargner, doit être démarché par une force de vente qu’il faut rémunérer généreusement chaque fois qu’un prospect parmi 100 autres
souscrit un produit. Enfin, on peut raisonnablement penser que l'importance, aux Etats-Unis, des fonds de pension a aussi contribué à développer le marché des produits financiers et la concurrence.

Des solutions


Quelles que soient les raisons historiques des coûts élevés en Europe, le fait est qu'aujourd'hui, il existe des produits efficients en termes de coûts, offerts aux épargnants en Europe. J'en parle en long et en large dans Comprendre la finance et vos placements : Tout ce qu'on vous cache sur votre épargne. Ce sont ces produits développés aux Etats-Unis et désormais offerts même par des institutions européennes, ce sont, en France, les contrats d'assurance-vie sans frais d'entrée (contrats internet), lorsqu'ils offrent aussi des supports aux coûts raisonnables. Lorsqu'il s'agit de choisir des produits d'épargne, il ne faut jamais oublier que l'importance des frais est capitale . Ainsi en ce qui concerne les fonds de placement, le TER donne une meilleure indication de la performance future que d'autres mesures comme la performance passée. Selon Morningstar , dans toutes les classes d'actifs, sur toutes les périodes, les 20% des fonds les moins chers ont produit des returns plus élevés que les 20% des fonds les plus chers.  Gardez ces quelques chiffres en tête : un surcroît de frais de 1% diminue la valeur du compte de 18% après 20 ans, un surcroît de frais de 1,50% diminue la valeur du compte de 1/4 après 20 ans, de 1/3 après 30 ans.

La solution adoptée par de plus en plus d'investisseurs intelligents est d'opter pour les fonds indiciels et les ETF, au moins pour le cœur de son portefeuille. Ces produits relativement nouveaux en Europe sont une vraie révolution dans la gestion de fortune. Même les gérants de fortune l'ont compris. Attention, certains emploient les ETF  et y ajoutent des frais élevés. Un cas qui a récemment attiré mon attention  c’est celui d’une gamme de fonds gérés par IAM, un gestionnaire genevois qui officie surtout pour des caisses de pension. IAM facture 1,5 à 2% de frais de gestion pour un fonds … d'ETF !  Des frais difficilement justifiables à mon sens. Décidément il y a encore du chemin à parcourir  en Suisse en matière de réduction des coûts !    


*http://www.bloomberg.com/news/2012-03-23/hidden-fund-fees-mean-u-k-investors-pay-double-us-rates.html