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samedi 17 janvier 2015

BNS : après la politique controversée du plancher, une gestion scandaleuse de sa sortie

La crédibilité de l'institut d'émission est durablement affectée, l'annonce incroyable, incompréhensible, de la BNS laisse les séquelles d'une attaque terroriste


Les terroristes rêveraient de faire pareil ! Semer la panique sur les marchés financiers, causer en quelques secondes des pertes combinées de centaines de millions à des traders et petits clients d'institutions financières, précipiter en moins de 24 heures plusieurs établissements financiers bien établis dans la banqueroute,  ruiner des ménages endettés , plonger un pays tout entier dans un choc économique brutal ... Que les fous de Dieu se rassurent, les savants fous des banques centrales se chargent de faire le travail à leur place !

Ce jeudi 15 janvier, Thomas Jordan, le Président de la Banque nationale suisse, qui avait fait de l'arrimage du franc suisse à l'euro, instauré par son "brillant" prédecesseur, "le pilier" de la politique monétaire, a soudainement annoncé qu'après tout, non, cet arrimage n'était plus une bonne idée et que donc ils avaient décidé d'annoncer en grande pompe que le plancher EUR/CHF à 1,20 n'était dès cet instant plus en vigueur ! 

"Leurs discours ne veulent plus rien dire désormais! C'est ça la plus grande détermination ? "  George Buckley, Chief UK Economist Deutsche Bank


Pertes chez les opérateurs du marché des changes: 


FXCM (No 1 mondial pour la clientèle retail )  - $225 millions
Citigroup                                        - $150 millions
Interactive Brokers Group             - $120 millions
London Capital Group (prop shop)      - 2.5 millions
Alpari (dealer retail)                                 en faillite
Global Brokerz  (dealer retail)                  en faillite
Swissquote                                     - CHF 25 millions



"The SNB have shown themselves to be amateurs today and there is many people that will suffer considerably as a result" Alpari's CEO 

Les charlots de la BNS auront à s'expliquer
comme lors du regrettable épisode des transactions inappropriées de leur ancien boss Hildebrand 
(image Tages Anzeiger/ Keystone     :http://www.tagesanzeiger.ch/schweiz/der-ruecktritt/Die-Beteuerungen-von-Jordan-und-Danthine/story/21281686?dossier_id=1217?dossier_id=1237 )




La presse financière anglo-saxonne a évidemment traité abondamment le sujet cette semaine. Selon le New York Times, la BNS a sorti le drapeau blanc, Ashraf Laidi parle de "mauvais calcul", Bloomberg View évoque une "embuscade tendue à l'économie" , "Le franc suisse crée le chaos sur les marchés alors que la BNS abandonne le taux plancher" (Bloomberg).  En Suisse la critique porte sur les conséquences économiques de l'abandon de cette politique. La presse, particulièrement romande, qui avait érigé Hildebrand en héros de la nation, se contente essentiellement de reprendre et d'expliquer le communiqué confus de la BNS, elle fait aussi la part belle aux  lamentations des exportateurs suisses au bénéfice desquels cette folle politique du plancher avait été instaurée en 2011 .  Mais une interview de Thomas Jordan dans Le Temps de Genève n'y va pas par quatre chemins et pose  au Président de la BNS, entre autres questions :  L'instauration du taux plancher aujourd'hui impossible à défendre a-t-elle été une erreur ? 


Retour sur les raisons de la politique du taux plancher 


Beaucoup le disaient, arrimer le franc suisse à l'euro était une erreur. Surtout, les effets collatéraux de cette politique étaient délétères, une bulle immobilière. La base monétaire est passée de 80 Mds à 440 Mds, la masse des prêts bancaires est passée à 170% du PIB, un nouveau record. Le bilan de la BNS a gonflé de façon monstrueuse à plus de 80% du PIB, plus que la Fed et même plus que la BOJ, oui pire que la Banque du Japon qui est aujourd'hui pilotée par les pires apprentis-sorciers de la science économique ! On sait aujourd'hui que c'est la raison derrière le soudain revirement de la BNS qui est confrontée à la perspective d'une dévaluation organisée de l'euro via un assouplissement quantitatif "made in Frankfurt". Pourtant à l'époque, beaucoup d'économistes apprentis-sorciers et de politiciens à gauche nous assuraient qu'il n'y avait aucun problème "CAR LA BANQUE CENTRALE SUISSE PEUT ACHETER DES EUROS EN QUANTITE ILLIMITEE ET ELLE NE PEUT PAS FAIRE FAILLITE !" Vous vous en rappelez ? J'avais moi-même posé la question du problème de la taille du bilan lors de la conférence de la responsable BNS pour la région de Suisse romande lors du salon de la prévoyance à Lausanne. LA BNS NE PEUT PAS FAIRE FAILLITE avait-elle répondu comme si j'étais un extra-terrestre! En théorie, oui. La réalité est différente. A un certain point, une banque centrale massivement en perte doit être recapitalisée, sinon à terme le risque est l'implosion du système par l' inflation. C'est  donc  le contribuable qui passe à la caisse lorsque les pertes deviennent trop grandes.  


Why did SNB really drop its peg?  (FT.com)

 Le bilan de la BNS : OFF THE CHARTS !

Voici ce que je disais en 2011 peu après l'instauration du plancher dont nous avions profité, un peu par chance en achetant l'euro proche de la parité :  


Car oui les gouvernements et les banques centrales sont les principales causes de la volatilité sans précédents sur les marchés d’aujourd’hui. Exemple illustratif : l’appréciation du franc suisse que la banque nationale suisse a tenté d’enrayer dès 2009 en plaçant un couvercle sur la hausse de la monnaie helvétique par des ventes massives de francs -alors que le niveau du franc face à l'euro, à 1,50, n'était nullement alarmant . Ceci créa un marché artificiel pour le franc et augmenta considérablement l’incertitude pour ceux qui cherchaient à se couvrir en vendant l'euro contre le franc. Lorsque la BNS dut se rendre à l’évidence - les interventions sur les changes fonctionnent rarement, une courte expérience chez Moore Capital n’en a pourtant pas convaincu M. Hildebrand semble-t-il- et qu’elle signala son abandon sous le coup de pertes de change massives, les spéculateurs se ruèrent sur le franc suisse. Les autres acteurs pris de panique durent faire de même. Le résultat: une volatilité extrême sur le franc suisse, et des conséquences désastreuses pour beaucoup d’acteurs économiques en Suisse. La réponse de la BNS : plus d’argent facile pour mettre les taux à zéro, vraiment à zéro cette fois. La bulle immobilière suisse peut donc grossir encore plus, et tant pis pour les paysages du Léman !

Philipp Hildebrand, celui que certains ont appelé le "Spéculateur" a en fin de compte spéculé avec l'économie suisse plutôt qu'avec ses économies ! Il a transformé la BNS en un gigantesque hedge fund . 

En réalité comme on peut le voir sur le graphique ci-dessous lorsque les interventions (verbales, puis réelles)  de Philipp Hildebrand ont débuté le franc n'était pas surévalué par rapport à l'euro. Alors que s'est-il passé ?  La politique de Philipp Hildebrand a probablement largement contribué à la volatilité croissante qui fut observée en 2010 et 2011 et qui mena finalement à sa politique de plancher. Il est raisonnable de penser que si on avait laissé jouer le marché, l'appréciation du franc aurait été moins chaotique et plus gérable par l'économie suisse. En tout cas, il n'y aurait pas eu d'interférences néfastes aux décisions et prévisions des acteurs économiques.  Mais voilà, Hildebrand, certes brillant, succéda à Jean-Pierre Roth selon moi non pas pour son expérience (15 ans d'un parcours atypique, essentiellement chez le hedge fund Moore Capital, puis de brefs passages à la direction d'établissements suisses de premier plan), mais parce que,  nonobstant son profil international et ses connections, il était partisan de politiques non conventionnelles, ce qui venait bien à propos au coeur de la crise.  On peut dire que Thomas Jordan,  presque un vétéran de l'institut monétaire par rapport à Hildebrand, avec un parcours académique,  était lui un banquier central plus conservateur. 
Il fallait venir au secours des exportateurs. alors on agita la menace de la déflation qui devint la principale raison d'intervenir sur le marché des changes. Mais  M. Hildebrand devint vite controversé au sein de la droite conservatrice suisse. Au sein de l'UDC par exemple, on percevait les problèmes de la politique du taux plancher. Mais la gauche, elle, en était un fervent partisan. Et lorsque Hildebrand dut démissionner sur fond de prétendu délit d'initié et d'intrigues politiques, Thomas Jordan n'eut pas d'autre choix que de continuer dans la lignée de son prédécesseur. 


Il fallait venir au secours des exportateurs, alors on agita la menace de la déflation qui devint la principale raison d'intervenir sur le marché des changes.




Graphique : BCV /données Thomson Reuters



Ce jeudi, la liquidité a complètement disparu sur le marché des changes 

Le désastre de cette semaine a été exacerbé par les assurances toutes récentes de la BNS que le plancher constituait le pilier de sa politique et qu'il serait défendu avec toute la vigueur nécessaire. Ce mardi, Jean-Pierre Danthine, Vice-Président de la BNS l'affirmait encore sur RTS, la télévision suisse . Ceci a conduit pas mal de participants à parier que les cours récents aux alentours de 1.20 pour EUR/CHF étaient une aubaine puisque la BNS allait tôt ou tard défendre ce niveau et acheter de l'euro. D'autres participants empruntaient massivement en francs pour financer un carry trade (acheter des instruments libellés en d'autres devises plus rémunératrices), d'autres tenaient des positions longues dollar US contre Swissie. Les fausses assurances de la BNS ont mené ces participants droit à la ruine, il leur fut impossible de limiter les pertes. La liquidité a complètement disparu sur le marché des changes, les banques ont retiré leurs cotations à la milliseconde où l'annonce a été faite par Thomas Jordan. Quelques secondes plus tard, les traders mal positionnés étaient ruinés. Le franc a bondi jusqu'à 41% plus haut contre l'euro et 38% contre le dollar avant de se stabiliser avec un gain de plus de 20% contre la devise américaine et 18 % contre l'euro (chiffres Bloomberg). C'est quelque chose qui ne s'est jamais produit auparavant, un vrai "Black Swan". Un brutal assassinat financier pour ceux qui en furent victimes. Il aurait été préférable sans doute pour la BNS de laisser le plancher tomber en restant motus et bouche cousue et en laissant planer l'incertitude, l'ajustement aurait été plus graduel, la perte de crédibilité réelle mais moindre. Les dommages collatéraux beaucoup moins importants.



Danthine sur RTS ce lundi 12 janvier "Nous sommes totalement déterminés" 




La BNS : un trader exécrable qui serait en faillite avec des pertes de près de 100 milliards ! Le Temps de Genève : Nuno Fernandes: «la BNS a perdu sa crédibilité»


Le comble c'est qu'en réalité, l'euro est tellement survendu contre le dollar, les attentes du marché vis-à-vis de la BCE tellement fortes, et la perspective de nouvelles mesures bien intégrée dans les cours que même l'annonce d'un programme de QE par Draghi pourrait résulter en un rebond spectaculaire, bien que temporaire sans doute, de la monnaie unique . 

La BNS peut seulement espérer qu'après sa gestion épouvantable  des réserves d'or (vendues essentiellement à des cours déprimés), un mauvais timing ne confirmera pas sa réputation de trader exécrable et que EUR/CHF rebondira vers 1.10 dans les prochains mois,  



Un trader ne peut que compatir avec tous ceux dont le compte a été annihilé par cette bombe thermonucléaire

De notre côté pas de position FX dans le franc suisse à part une position insignifiante dans un compte personnel qui a fait un gain providentiel. Cela fait longtemps que le franc suisse était devenu peu intéressant car manipulé par la BNS et donc en ce qui me concerne complètement imprévisible d'un point de vue technique. Mais on ne peut que compatir avec tous ceux dont le compte a été annihilé par cette bombe thermonucléaire.  

Les conséquences pour l'économie suisse : 

Elles sont très importantes et pourraient être catastrophiques pour le tourisme et les exportateurs comme l'industrie des machines. Les ventes au détail vont sans doute chuter par exemple dans la grande distribution suite au phénomène du shopping frontalier. Il faut s'attendre à des pertes d'emploi. Les bénéfices des entreprises multinationales vont plonger mécaniquement lorsqu'exprimés en franc suisse. Les entreprises s'attendaient à ce que le plancher reste en place pour longtemps et donc les trésoriers avaient cessé de couvrir leur exposition à l'euro et aux autres devises.

En fin de compte, la Suisse ne peut échapper au phénomène de contagion venant de l'UE dont la situation économique est catastrophique. Le taux de change est ainsi un mécanisme de solidarité par le marché.  L'appréciation du franc suisse due à  la force relative de l'économie helvétique et à la stabilité de la Suisse joue alors en faveur de l'économie européenne.  Dans l'absolu, ce mécanisme amène à une pression sur les coûts et les salaires en Suisse, une dévaluation interne qui tend à rapprocher le niveau de vie largement supérieur des habitants de Suisse vers la moyenne européenne.